La boucle est bouclée

vendredi 30 septembre 2011

Fin/Début


Jeudi 29 septembre 2011, 13h30, je descends du Hanjin Mundra et pose le pied sur le sol australien. Enfin. At last.
Et sinon, comment je me sens ?


Oh yeah !
Je fais quoi maintenant ?
Malheureusement, je crois bien avoir fait un pari avec quelqu'un avant de partir, je dois maintenant en assumer les conséquences.
Après, on verra.
Je vais juste essayer d'éviter les araignées, les chenilles, les fourmis, les tiques, les scorpions, les serpents, les dingos, les oiseaux, les crocodiles, les méduses, les poulpes, la noyade, les requins, les inondations, les incendies, les ouragans et tout ira bien.

Je vous laisse, j'ai un pays de 7 741 220 km² à visiter en 11 mois et 21 jours, vous avez de la lecture pendant quelques temps.
À la prochaine mes spring rolls au ketchup !

Compte-rendu de 20 jours en mer


Vu :
  • The Wire (merci Fred !) saisons 1, 2 (se passe sur les docks, très dépaysant) 3, 4
  • "Mammuth"
  • "Morse : let the right one in"
  • "Thank you for smoking"
  • "V pour Vendetta"
  • "eXistenZ"
  • "La 25ème heure"
  • "L'arbre"
  • "R.E.D."
  • "Fight Club"
  • "Trainspotting"
  • "Le voyage de Chihiro"
  • "Comme les cinq doigts de la main"
  • oiseaux
  • poissons-volants
  • un "sunfish"
  • dauphins
  • une baleine
Lu :
  • "L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet", de Reif Larsen.
  • "Precious", de Sapphire.
  • "Les guides de l'état du monde : Australie" de Maïa Ponsonnet et Pierre Grundmann.
  • "Des néons sous la mer" de Frédéric Ciriez.
  • "Lonely Planet Australie".
  • "Cinq matins de trop" de Kenneth Cook.
Écouté :
  • Les 2066 titres de mon laptop soit 183 heures de musique.
30 grilles de mots-fléchés résolues.

Voyage annulé du 13 avril, Le Havre-Sydney en cargo, 42 jours de traversée.
Voyage du 18 août, Paris-Melbourne en 4 trains, 1 ferry, 1 cargo, 42 jours de voyages. Pour le même tarif à peu près. Incroyable.
Il est donc possible d'aller en Australie depuis la France sans prendre l'avion. CQFD.

Rab


Le pilot devait monter à bord le 28 à 9h et nous devions arriver à Melbourne à 14h. Il y a un peu de retard, on nous annonce que le pilot arrivera à bord le 29 à 2h. Donc, une journée en mer supplémentaire !
Mercredi 28. Lorsque le réveil a sonné à 5h40 j'étais un peu perdue "non, je veux pas aller travailler" (je crois que j'ai rêvé de la rentrée scolaire à la librairie cette nuit). Puis, je me suis souvenue "ouh, lever de soleil !". Direction le Navigation Deck, je croise Scott dans les escaliers. Le Chief Officer est un peu grognon, mais ça va. Nous allons sur une aile, il y a des îles, très peu de nuages, parfait pour un lever de soleil.
Nous entendons un petit "splash" : dolphins ! Quelques dauphins s'amusent dans les vagues créées par le cargo sur le côté, c'est sympa ! Mais ils ne s'éternisent pas. Nous non plus. Il fait quand même très frais. Superbe lever de soleil soit dit en passant.


Après le petit-dèj, au Bridge, Scott ne fait pas mumuse avec son sextant, je lui demande pourquoi. Il y a des terres donc on ne voit pas la ligne d'horizon, de plus, si on voit la terre, on est censé savoir où on se trouve. Ah ? Ouais. Il fait beau, pas trop de vent, frais (17°C), soleil !
On va à l'avant du bateau, les types essayent toujours de nettoyer la tâche de fuel. Nous, on regarde des oiseaux noirs en groupe sur la mer, soudain ils s'envolent pour s'arrêter plus loin. L'eau bouillonne, c'est rempli de poissons, les oiseaux s'en mettent plein la panse. C'est trop fort, il y a plein de groupes d'oiseaux éparpillés sur l'océan certains pêchent, d'autres se reposent sur l'eau.


Et puis, enfin, les dauphins ! Un groupe de 8 (4 vieux 4 jeunes) s'amusent juste devant le bateau. Les jeunes sont synchros avec leurs vieux, marrant. Ils sont propulsés par le cargo, ils n'ont même pas besoin de nager, juste sauter et se laisser aller. D'un coup, comme ils sont arrivés, ils s'en vont. Ils sont aussitôt remplacés par trois dauphins qui nous font le show pendant 5 minutes, cloolsse. C'est juste incroyable à regarder ces bestioles, il a fallu attendre le dernier jour pour voir ça... en plus le jour de rab, sans ça, pas de dauphins aussi proche.


Le cargo s'arrête à 11h, maintenant on attend le pilot. Plus que 15h. Le temps est pourri, il pleut.
Le soir, nous avons droit à un super orage, beaucoup de pluie, on voit que dalle, bienvenue en Australie !
Le pilot est finalement monté à bord le 29 à 6h30, youhou !

Dernier jour en mer


Mardi 27 septembre. Demain matin à 9h, le pilot monte à bord et nous serons au port de Melbourne à 14h. Trop cloolsse !
Belle journée, le bateau ne tangue pas trop, quelques vagues pourtant, très peu de vent, nuages non menaçants, soleil, il fait bon, pas trop chaud...
Après le petit-dèj, je vais au Bridge avec Scott, on est sur l'aile portside, Scott fait ses mesures de sextant, je note. Il en est à 5 relevés et me dit "one more for luck" et il s'interroge sur le sens de cette expression "why one more for luck ?" lorsqu'on entend "splash". Un gros "splash" quand même. On regarde "whale !" hurle Scott. Effectivement, une baleine sort de l'eau et se retourne dans un gros "splash", génial. Elle était vraiment très proche du cargo. Incroyable. Le temps que Scott rameute le monde du Bridge, elle avait déjà disparu. Nous descendons au Main Deck, à l'avant du bateau, au cas où. Mais pas d'autres baleines en vue, juste un oiseau noir qui fait le tour du navire en planant. À force de chercher une baleine ou des dauphins on en vient à voir des mirages, fun.
Plus tard dans la matinée, je suis peinard dans ma cabine, le téléphone sonne : "This is the Trainee on the Bridge, there are many dolphins" je chope mon appareil-photos à la volée, remets mes chaussures, monte les escaliers 4 à 4 et une fois au Navigation Deck, je me précipite sur l'aile starboard. Le 3rd Officer me montre quelques dauphins au loin qui se font déjà la malle. Mais c'est pas grave, j'ai vu des dauphins ! Je descends sur le Main Deck, je passe par chez Scott pour le prévenir, il n'est pas là. Je le retrouve à l'avant avec le Capitaine. Scott était sur le Bridge lorsqu'il a vu les dauphins, avant de descendre comme un dingue il a demandé à Arndt de me prévenir, mais il est arrivé trop tard en bas. De toute façon, les dauphins étaient en train de pêcher, ils n'ont pas fait de détour pour venir jouer.

dauphins !
Dans l'aprèm, en remontant vers le Navigation Deck, Scott s'arrête et tend le bras "whale !", je ne vois rien, puis au loin, je vois le souffle, wouha ! On monte comme des dératés jusqu'aux ailes du Bridge (meilleure vue) et on observe le large. Le Capitaine arrive "vous avez vu la baleine ?" et il tend le bras dans une autre direction, cool, y'en a plusieurs... mais bon, on ne voit rien de plus. Tant pis. C'est déjà pas mal. Sympa comme dernière journée !

Mille millions de mille sabords


Depuis quelques jours, grâce aux relevés météo, on sait qu'on va avoir quelques heures pourries à un moment ou à un autre. Le Chief Mate annonce à partir de 14h pendant 10h, le 3rd Mate penche pour le matin jusqu'au soir. On verra bien.


La veille, le Chief Officer essaye de me faire peur : vagues de 4 à 5 mètres, beaucoup de houle (ça c'est vrai). Il me demande ensuite si tout est sécurisé dans ma cabine parce que ça va swinguer (ça c'est pas vrai) : télé, chaîne Hi-Fi, fauteuils, "and you too" qu'il rajoute, "oui, je vais attacher ma ceinture de sécurité" je lui réponds.
Jour J, 8h, au Bridge, j'aide Scott pour ses relevés de sextant, je note les chiffres qu'il me dicte. On voit les côtes australiennes et un arc-en-ciel de bienvenue. Le ciel est dément, il pleut d'un côté, il y a du soleil de l'autre, puis de gros nuages sombres... c'est incompréhensible. Les vagues commencent à prendre de l'ampleur, le bateau bouge beaucoup. Encore une fois le Chief Mate s'est planté dans les horaires, la rough sea, c'est maintenant, pas à 14h.


Impossible de se baigner dans la piscine à moins de se faire plaquer contre les parois toutes les 30 secondes.
Scott me propose d'aller faire un tour sur le Main Deck et surtout à l'avant, il adore ce genre de temps (sur un gros bateau).
C'est incroyable. Un vent de furieux (30 noeuds) siffle et souffle à l'avant du bateau, j'ai peur de me faire emporter. Les vagues sont plus grandes, 3m, la mer est gentiment en colère. Très dur de retrouver cette impression sur les photos.
Le vent vient du portside, nous y allons donc, le meilleur endroit pour prendre des photos fun. Attendre qu'une grosse vague arrive, qu'elle s'écrase selon le bon angle contre le bateau et splash tout remonte à la verticale ! Bon, on a pas vu quelques vagues arriver derrière nous, on s'est un peu fait tremper.
Splash
Oreilles congelées, le vent qui gifle le visage (j'aurais mieux fait de passer sous les ciseaux du bosun, mes cheveux me baffent en permanence avec ce vent), goût salé sur les lèvres, ça fait du bien de respirer le grand air. On redescend sur le main deck, une averse nous oblige à nous réfugier dans le bosun store pendant 2 minutes. Des bruits étranges, une lampe qui bouge toute seule, (Pixar bonjour !) on se croirait dans une maison hantée.
On marche jusqu'à l'arrière du navire, les containers souffrent mais pas en silence, on est sur un vaisseau-fantôme, ça grince de partout, on entend des chocs épouvantables, des gémissements de bêtes blessées sortir des fosses, et les crissements des griffes du dragon qui essaye de se stabiliser comme il peut, pauvre petite bête dans son container.


C'est le jour idéal pour descendre une échelle rouillée et glissante par une trappe étroite. Nous voilà à l'arrière du navire, au point le plus bas et le soleil me réchauffe. On regarde les vagues s'écraser contre le cargo penché par-dessus la balustrade, c'est fascinant, c'est mieux que les montagnes russes. Les vagues atteignent 4 mètres, nous sommes à force 6-7, c'est rigolo. Difficile de marcher droit, le vent pousse dans tous les sens.
Nous allons dans le couloir à côté de la salle des machines et là, je vois le couloir bouger par endroit, c'est très surprenant.

Trappe
On ressent beaucoup moins les mouvements du bateau à l'extérieur qu'à l'intérieur. La mer est un peu plus en colère, l'avant du bateau est maintenant trempé, nous avons eu un timing parfait. Descendre et monter les escaliers dans le bateau qui tangue autant, c'est trop marrant.
On en a pour la journée, je vais regarder quelques films je crois.

Poissons-volants et oiseaux-plongeurs ?


Journée parfaite sur la mer de Corail. Ciel bleu, quelques happy clouds, mer calme, juste assez de vent pour rafraîchir, et des oiseaux à l'avant du bateau.
Quel genre d'oiseau ? Ils sont blancs, ils ont des ailes et un bec, et ils savent plonger.


Ils sont une dizaine, il y a un jeune dans la troupe. Ils planent à l'avant du bateau, peinards, soudain, il y en a un qui plonge, genre attaque en piqué. Parfois il plonge assez profondément, il remonte, avale son poisson et décolle pour se sécher en planant.


Le plus drôle, c'est lorsqu'un poisson-volant jaillit devant le bateau, le jeune le prend en chasse mais il sait pas trop quoi faire ce con et il arrive pas à le choper. Le poisson replonge suivit par un oiseau, c'est trop marrant.
Pauvres poissons-volants... ils sortent de l'eau, effrayés par le bruit du cargo et se retrouvent entourés d'oiseaux prêts à les bouffer, piège impitoyable, pas de chance. D'après Scott, quand les dauphins se ramènent et s'invitent au pique-nique, c'est encore plus fun à regarder. Je le crois, mais toujours pas l'ombre d'un dauphin à l'horizon.


En plus, c'est dimanche, le petit-déjeuner c'est œufs au bacon, croissant. Et à midi, j'ai eu le dessert parfait : un souvenir. La première fois que je me souviens avoir mangé du Nutella, j'avais 15 ans, j'étais en seconde et j'avais eu droit à une dégustation géniale : tu prends une cuillère, tu la plonges dans le pot de Nutella et tu rajoutes de la chantilly par-dessus. Efficace.
10 ans après, c'est toujours aussi bon. J'en ai écœuré plus d'un au mess ce midi là.

Conduite accompagnée


Un soir, après dîner (vers 18h), Scott et moi montons au Navigation Deck. Le Chief Officer est de surveillance. Nous allons sur les ailes, dehors. La nuit est tout simplement grandiose. Comme on approche des côtes, on voit les lumières de deux phares, il y a aussi 2-3 bateaux, pas beaucoup de nuages, donc un ciel étoilé à couper le souffle, j'ai rarement vu ça. C'est incroyable, on voit la voie lactée (milky way, comme les barres chocolatées, je me suis toujours demandé ce que ça voulait dire...) et des constellations que je ne connais pas. J'apprends que si une étoile clignote mais qu'elle ne bouge pas (donc c'est pas un avion), c'est une planète. Ben merde alors.
Retour à l'intérieur. Le Chief Mate (Officer, Mate, même combat) m'explique comment le bateau tourne. Il me demande de mettre les mains sur le volant, je m'exécute. Je dois regarder le radar, nous sommes à 133 (133 quoi ? j'en sais rien !), l'aiguille est sur le 130 du cercle extérieur, et sur le 3 du cercle intérieur qui bouge un peu. Il m'apprend les termes babord et tribord en anglais : portside et starboard. Donc, s'il me demande d'aller à port 5, je tourne le volant sur la gauche, mais juste un peu, premier trait. Quand on tourne le volant, devant on voit un premier trait, ensuite 10, je ne sais pas jusqu'où ça va. Puis s'il me dit mid-jesaisplusquoi, je reviens au milieu à 0. Soit.
Et là il me sort sa première phrase trop drôle :
"Maintenant, j'enlève le pilote automatique, on passe en manuel, tu vas conduire un peu".
J'essaye de protester, en vain. Je lui explique que je n'ai même pas mon permis de conduire parce que j'ai trop peur des voitures, que je confonds ma droite de ma gauche, il s'en tape.
Je me retrouve donc au volant d'un navire de 60 000 tonnes. Rien que ça. Ce type est inconscient.

Volant
"Tu dois suivre le 3" ben oui, maintenant, le radar bouge beaucoup plus. Je pige que dalle, je suis en totale panique, on va heurter un iceberg c'est sûr (tout à fait, on peut trouver des icebergs proche de l'équateur). Il me donne les ordres : "5 port, midship, 5 starbord, midship, steady." Je suis.
Deuxième phrase drôle :
"Bon, tu te débrouilles très bien, il faut que j'aille faire un truc, je reviens dans 5 minutes."


Non, ne m'abandonnez pas, je vais percuter un bateau c'est certain, au secours ! Scott est à côté, très cool, il me dit quoi faire. Dieu merci, il sait comment ça marche ! Le Chief Officer revient, une alarme sonne dans le GPS.
Troisième phrase drôle :
"C'est l'heure, il faut qu'on change de course, c'est toi qui vas le faire, t'es prête ?"
WTF ? Il est barge ou quoi ?! Je pleure maintenant ou j'attends un peu ? J'ai l'impression d'être enchaînée à ce putain de volant, j'ai envie de dormir même à 19h15, je veux que ça s'arrête et lui il veut que je change le trajet du navire, il est félé. "Bon, on est à 133, on va à 161. Tourne à droite, 10. Tu vois le cargo qui tourne ?" Je vois que dalle, il fait nuit, et de toute façon j'ai les yeux fixés sur le radar et sur le volant. Il me donne des indications et nous voilà à 161. "Parfait, tu as très bien conduit, maintenant tu n'auras plus peur de conduire une voiture !" Il remet le pilote automatique, je suis sauvée.
J'ai dû conduire 20 minutes, c'était tout simplement terrifiant. Mais quand même super cloolsse ! Je suis épuisée.
 Plus jamais je remonte au Bridge quand il est là !

Changement avant les deux petites îles

Equateur


Je suis déjà allée dans l'hémisphère Sud. À cette époque, j'étais trop jeune pour refuser de monter dans un avion. Ce n'est qu'à ma majorité, lorsque j'ai pu prendre mes propres décisions stupides, que j'ai arrêté de m'angoisser pendant des heures assise dans un cercueil volant. Les avions c'est fini.
Mais apparemment, avoir traversé l'équateur à bord d'un avion, ça ne compte pas. C'est la première fois que je le franchis en bateau, et ça c'est important.
Scott me charrie "il y a une ligne et même une bosse". Mais faut pas me prendre pour une bleusaille non plus ! Ce ne sera pas le seul à me raconter ce genre d'âneries : Neptune va sortir de l'océan, il y a un péage, attention ça va secouer quand on va passer sur la ligne, il y a un panneau géant..., mais ils savent pas avec qui j'ai été élevée ! J'en ai entendu des conneries dans ma jeunesse : des hommes en noir vont débarquer d'hélicoptères pour me tuer, "on t'a trouvée dans une poubelle quand tu étais bébé", le masque vert a des pouvoirs magiques (c'est pas possible autrement, pourquoi aurais-je voulu ce putain de masque vert sans une raison valable ?)

Toute la journée du 21 septembre (pendant que je passe l'équateur, il se passe quoi à Toulouse ?), j'ai des données différentes : le Chief Officer dit 14h45, le Capitaine 17h, le 2nd Officer 18h30... déroutant. Alors je vais souvent au Bridge pour vérifier. Au final, ça se passe pendant le temps de surveillance du Chief Officer, Scott est là aussi.

Avant
Je suis aux aguets devant le GPS, l'appareil en main, prête à mitrailler. Compte à rebours, et bam, vers 19 heures 16 minutes et 23 secondes, le N disparaît, le S apparaît, je suis dans l'hémisphère Sud. Pas de ligne "mais c'est parce qu'il fait nuit", pas de bosse "c'était une très légère bosse, t'étais trop occupée à filmer pour la sentir".
Le Chief Officer nous raconte la cérémonie d'antan pour un premier passage d'équateur : le dieu Neptune monte à bord, baptême, le type se fait tremper la tronche plusieurs fois dans un seau rempli de plein de trucs dégueulasses. Il doit payer à boire et s'il n'y a pas assez de bières, la tête dans le seau de nouveau. Et après il a son certificat signé par Neptune en personne ! Fun.

Après
Je suis invitée chez Scott par Scott et Brian pour un apéro équateur. J'amène mes cookies au chocolat de Shanghaï, il y a des cacahuètes, des chips, de la Vodka (tout acheté sur le cargo), comme ils savent que je ne bois pas, j'ai droit à un soda. Et spécialement pour Brian, il y a des glaçons ! Mr Tamaroa a fait la livraison de glace dans l'après-midi. C'est sympa. En fond, des photos de Scott défilent sur son ordi : Seychelles, Maldives, Caraïbes, Italie, Corse, Thaïlande...
C'est quand même étrange de prendre l'apéro à 19h30, après dîner.

Le lendemain midi, le Chief Officer nous remet à chacun un certificat de passage d'équateur de la part du Capitaine, signé par Neptune ! Trop la classe. C'est un peu fait à l'arrache, la date est fausse, il y a des fautes (Äouator veut probablement dire équateur) mais c'est pas grave, c'est cloolssement gentil. Scott me dit que c'est le Chief Officer qui les a fait ce matin, il a traduit son certificat (datant de 1967) qu'il garde toujours sur lui.

Certificat

Comment savoir qu'effectivement nous avons franchi l'équateur ? Astuce: boucher le lavabo, le remplir d'eau, le vider et regarder dans quel sens l'eau s'en va.

Bon, apparemment, passer le tropique du Capricorne est aussi très important et il y a une ligne, une bosse...

23 sur un cargo (sans les passagers) qu'est-ce qu'ils foutent de leurs journées ?


Commençons par le plus simple :
  • Le cuisinier cuisine. 10h30 de travail par jour que l'on soit en mer ou au port.
  • Le steward, en pantalon noir et chemise blanche, sert et dessert pendant les repas et les break time. Puis, il enfile son autre uniforme (jean et T-shirt du bateau) et nettoie les cabines des Deck D, E et F. 10h de travail par jour en mer et au port
  • Le Capitaine n'a pas de tour de surveillance au Bridge et travaille 8h par jour en mer et au port. Je ne sais pas exactement ce qu'il fait, surtout de la paperasse j'imagine. Le nouveau Capitaine fait du sport : des tours de Main Deck en marche rapide, fun !
  • Le Chief Officer est de surveillance en mer de 4h à 8h, puis de 16h à 20h. Il travaille aussi de 8h30 à 10h30 : 10h de travail par jour en mer. Au port, il n'est pas de surveillance, mais il bosse en permanence. Il est chargé de tout ce qui concerne les containers : où placer ceux qui sont chargés, répartir le poids, lesquels décharger, comment équilibrer les ballasts en fonction des containers...
  • 2nd Officer
    Le 2nd Officer est de surveillance en mer de minuit à 4h, puis de 12h à 16h. Il bosse 2h à autre chose : 10h de boulot par jour en mer. Au port, la surveillance est plus intense : minuit-6h, midi-18h : 12h par jour.
  • 3rd Officer
    Le 3rd Officer est de surveillance en mer de 8h à midi, puis de 20h à minuit avec le Trainee. Lui aussi bosse 2h autre part : 10h par jour en mer. Au port, surveillance de 6h à midi et de 18h à minuit : 12h par jour. Il est chargé de tout ce qui est sécurité.
  • Le Chief Engineer travaille 8h par jour.
  • Le 2nd et le 3rd Engineer travaillent 9h par jour.
Le reste de l'équipage, pour ce que j'en ai vu, en mer : beaucoup de peinture, nettoyage, rangement, entretien et maintenance du navire en fait.
Au port, ben tout le bordel avec les containers. Ils travaillent entre 8h et 10h par jour.





Bonded store ou slop chest


Assez étrange cette boutique. C'est le Capitaine qui la gère. L'horaire d'ouverture est affichée sur le panneau d'information. De 18h à 18h30, les jours varient, une à deux fois par semaine.
On n'entre pas à l'intérieur de la boutique. Pour acheter quelque chose, il suffit d'inscrire son nom sur un morceau de papier et de noter ce que l'on veut et en quelle quantité. En se référant à la liste affichée à l'entrée, on ne peut pas demander n'importe quoi.


On donne le bout de papier au Capitaine qui délivre la marchandise et on paye lorsque l'on quitte le bateau définitivement.
Bien évidemment, on ne peut pas acheter un coca, on en achète 50, les bières et l'eau s'achètent par packs (12, 24), le vin et les alcools forts par bouteilles, les cigarettes par cartouches.
Il y a aussi, tout ce qui est hygiène : brosse à dent, savon, peigne..., à l'unité.
Quelques snacks. En voyant ce mot, je me suis dit "youhou ! Il doit bien avoir quelque chose au chocolat !". Ben non, que dalle. Il n'y a que des chips ou des cacahuètes, ce genre de trucs.

Liste
Des cartes pour l'Iridium phone (?), des enveloppes "par avion", et des produits-souvenirs du bateau, genre la cravate RFL (Reederei F. Laiesz, c'est le nom de la compagnie). D'ailleurs, il ne reste que des cravates pour le moment, avant il y avait des casquettes aussi.

jeudi 29 septembre 2011

L'Engine Room

13h, Ship's Office, Scott, le 3rd Officer et moi attendons le Chief Engineer pour la visite. Il arrive avec caches-oreilles et gants pour tout le monde. Il nous fait un topo vite fait et let's go. Nous descendons un escalier et nous voilà face à la porte Engine Room. Cache-oreilles et gants en place, entrons dans l'arène. Je me rappelle de ce que m'avait dit Arndt à propos de l'Engine room "dirty, noisy, hot" c'est tout à fait ça.


Premier arrêt à l'Engine control room, on enlève les caches-oreilles, et bonheur c'est climatisé. Il nous explique le "fonctionnement" de l'Engine room : c'est le cœur du cargo. Le Bridge là-haut, ce n'est que les yeux, éventuellement le cerveau. Mais sans un bon fonctionnement des machines, ça ne sert à rien. Ici, ils contrôlent tout : l'électricité, l'air conditionné, l'eau fraîche sur tout le bateau. Et bien évidemment tout ce qu'il faut pour que ça avance, le carburant et tout le bazar. Ils peuvent même stopper le cargo et prendre les commandes s'il y a un problème avec le Navigation Deck. La consommation d'électricité sur le navire est similaire à celle d'une petite ville.

Engine control room
Et on crame environ 9 000 (ou 90 000 ? j'ai de sérieux problèmes avec les chiffres) litres de carburant par jour, en restant à 21 nœuds. Le bateau peut aller jusqu'à 25 ou 26 nœuds, mais ça coûterait trop cher et puis ça polluerait beaucoup aussi.
On peut prendre des photos ? Tant qu'on veut, rien n'est top secret ici. Cool !
Le 2nd Engineer est là, c'est lui qui est de surveillance pour cette aprèm. Il n'y a pas de surveillance de nuit, contrairement au Bridge. S'il y a un problème, une alarme les réveille, et ils vont voir ce qu'il se passe. Mais s'ils ont fait du bon boulot pendant la journée, y'a pas de lézard la nuit.
C'est un petit marrant ce Chief Engineer, il fait des blagues, il se marre bien, il a le clin d’œil facile. Le 3rd Officer fait mine de baisser un interrupteur, le Chief Engineer lui dit qu'y a pas de problème, ça bloquera juste la chasse d'eau du Capitaine, et il se marre.


Nous revoilà dans l'antre de la bête. On descend toujours plus profond dans les entrailles, il nous montre toutes sortes de machines énormes, les réserves d'air, réserves d'eau, le carburant. C'est un véritable labyrinthe géant cet endroit. Les outils sont d'une taille inimaginable. Au plafond, tous les tuyaux sont entourés d'aluminium. Pour nous montrer la puissance de je ne sais quelle machine, il dévisse une valve et des mini-flammes sortent, dragon style. Souvent il nous hurle des explications dans les caches-oreilles qu'on entend à peine.


Finalement, j'ai bien fait d'attendre les nouveaux passagers pour visiter la salle des machines. Scott pose des questions et comprend tout ce que lui raconte le Chief Engineer. Très franchement, je ne sais déjà pas comment fonctionne ma montre, alors en plus avec des explications en anglais et un vocabulaire aussi spécifique... J'ai pas compris grand chose. Mais c'était tout de même fort intéressant.
On remonte petit à petit (je crois compter au moins 6 escaliers), on s'arrête devant "la boîte à outils", le Chief Engineer nous prend en photo chacun notre tour avec une clef dans les bras qui pèse quelques kilos. Ben putain, petit mais costaud le Chief Engineer ! Arndt avait raison, le véritable roi sur le cargo, c'est le Chief Engineer.
Nous allons à l'extérieur par une sorte de long couloir. Lorsque le bateau tangue beaucoup, on peut voir les parois se tordre. Je préfère ne pas essayer de regarder.
Nous voilà à l'arrière du bateau, là où je n'ai pas voulu/pu descendre la dernière fois. C'est l'endroit le plus proche de l'eau. Impressionnant. Mais c'est chiant, il pleut.


C'est la fin de la visite. Le Chief Engineer nous dit que si on a des questions, si on veut revoir quelque chose, si on s'aperçoit que nos photos sont pas terribles et qu'on veut redescendre pour une raison ou une autre, y'a aucun problème. Il suffit de lui en parler aux heures des repas, il s'arrangera toujours pour qu'on puisse venir. On a le temps jusqu'à Melbourne !
Je regarde les gants, blanc à la base, qui sont devenus gris noir.
Vous croyez que ça part le cambouis sur les vêtements ? Ben oui, j'ai réussi à me tâcher...
J'ai réussi à enlever la tâche de mon T-shirt Natural, tout va bien. Pas de mon jean...

Le bleu, c'est chouette


Alors sur un bateau, je suis servie !
D'abord les containers bleus de Hanjin et ceux un peu plus foncés de Sino-Trans.
Les commandes à l'extérieur sur les ailes du Bridge.
Le ciel, souvent bleu clair.
Et l'océan ; je ne savais pas qu'il existait autant de variantes dans le bleu foncé.
Mauvais temps
Quand on regarde au loin, la ligne d'horizon est d'un bleu plus foncé que le reste de l'océan, c'est étrange. Parfois, il y a aussi des endroits bien délimités qui sont plus foncés ou plus clairs, à cause des courants ou de la profondeur ou du soleil.
Le sillage, plein de remous est bleu très clair.
sillage
Et en plus, le temps est assez changeant. On passe très rapidement d'une mer inerte et un ciel sans nuages à de la pluie, gros nuages, mer grise avec quelques vagues . Puis retour au ciel bleu avec quelques nuages sympas.
Container
Les jours de pluie (quand on ne voit pas le soleil, c'est arrivé 2 jours), la mer est presque noire.
La nuit, elle est carrément noire.
La nuit, d'ailleurs, mis à part l'éclairage du cargo, c'est le noir total sur l'océan, ça change. On peut observer les étoiles sans problème, c'est trop génial. Sauf la première semaine, avec toutes ces escales, le cargo voyageait près des côtes : éclairage de nombreux bateaux, pas beaucoup d'étoiles à regarder.

Les poissons-volants ont les ailes bleues argentées, c'est trop marrant à regarder ces petites bestioles! Il suffit d'aller à l'avant du bateau et de se pencher par dessus la balustrade sur la pointe des pieds. Le bruit du cargo les effraye (tu m'étonnes !) et ils sortent de l'eau. Ils planent quelques temps à la surface (la nageoire caudale leur sert de gouvernail), font quelques gracieux ricochets et s'écrasent dans l'eau façon crash d'avion. Il y en a des rouges, des jaunes, des touts-petits. Parfois, plusieurs jaillissent hors de l'eau en même temps et s'éparpillent dans toutes les directions, on dirait un feu d'artifice horizontal. Très difficile à prendre en photo : ça nécessite de lâcher la balustrade des mains, d'être en équilibre à plusieurs mètres au dessus de l'eau, et ensuite une fois qu'on zoome sur l'océan, ils sont trop rapides, on les perd.






L'extérieur du cargo


On peut se balader partout à l'extérieur du bateau tant qu'il fait jour et qu'on est en mer. Totalement interdit de nuit. Lorsque le cargo est au port et en manœuvres, il est interdit d'être sur le Main Deck. Trop dangereux avec tous ces containers qui volent partout.

Le tour des Decks : En comparaison à l'intérieur, où j'ai souvent froid, il fait une chaleur étouffante dehors. Il faut que j’essuie plusieurs fois l'objectif de mon appareil-photo à cause de la condensation.
Il suffit d'ouvrir une des deux portes par Deck qui mène vers l'extérieur. Et ensuite, on descend, on monte, il y a deux escaliers extérieurs par Deck. C'est assez amusant, les escaliers sont un peu raides, les rampes poisseuses de graisse et de cambouis. Mais la vue est géniale. On ne peut pas faire entièrement le tour des Decks : on arrive d'un des côtés, on marche le long de l'arrière du bateau et on arrive sur l'autre côté. Pour avoir un accès à l'avant du bateau, il faut monter au Bridge ou descendre au Main Deck. Mais on a quand même une vue partielle de l'avant.
Plus on descend, plus le bruit est fort (machines et tout le bordel), et on ressent une impression étouffante du fait de la proximité et de la hauteur de l'empilement des containers.
Au Deck B, j'ai accès à mon bateau de sauvetage, cloolsse.
Tour des decks
Le Deck F est beaucoup plus large que les autres et grâce aux ailes du Bridge au-dessus, il y a de l'ombre. Bon plan pour venir lire peinard. Mais bon, y'a pas de chaise. Je lis donc au Deck E, sur la chaise en plastique du 2nd Engineer. Si je continue à (continuer à ou continuer de ? Mon Bescherelle me manque...) lire dehors, mes livres vont se couvrir de graisse petit à petit.

Main Deck
The Main Deck : Au deck A, j'hésite à descendre plus bas. J'entends du bruit et vois quelques membres de l'équipage travailler sur le Main Deck, juste en-dessous. Je descends les dernières marches, salue et demande si je peux marcher le long du Main Deck "Sure, no problem". Le pauvre gars qui était en train de manœuvrer son diable, me laisse passer très gentiment. Ils ne sont pas casqués, moi non plus, ça n'a pas l'air de poser problème.
Ça y est, j'y suis : le Main Deck. Je vais vers l'avant du bateau, suivant un long et étroit "couloir" à l'air libre. À ma gauche, des entassements de containers, à ma droite l'océan. Parfois, on passe même en-dessous d'un container. Il fait chaud, vraiment chaud, il y a plus de bruit qu'en haut, le sol est trempé par endroit. Voilà pourquoi il faut des chaussures dignes de ce nom pour se balader sur le Main Deck et pas des tongs. Sinon, glissade et passage par-dessus bord, pas cloolsse.

Entre les containers
Je croise un Kiribati, appuyé à la balustrade, on se dit bonjour, il me montre un bateau de pêcheur, bonne journée. Le long du couloir, des caisses remplies de pièces en acier, tout est rouillé partout. Entre les rangées de containers, des perches, des "croix". C'est un peu le bordel, mais rangé.
Au bout, l'avant du bateau. Il y a deux portes, une pour entreposer de la peinture (Quel intérêt ? Contre la rouille. Ah ouais !), l'autre pour le matos de sauvetage. Il y a une échelle pour monter et être vraiment à l'avant, au-dessus des flots. J'hésite.
Le Philippin avec son diable chargé et le Kiribati arrivent, je leur demande si je peux monter, "of course" qu'ils me répondent. Je préfère demander, au cas où. J'ai bien trop peur de me faire engueuler en allemand. C'est beaucoup plus impressionnant de se faire hurler dessus en allemand, ça m'est arrivé une fois à Göttingen, en marchant sur un trottoir. Comme si je pouvais savoir que les pistes cyclables étaient sur les trottoirs !


Bref, l'avant du bateau, c'est impressionnant, des cordes et des chaînes assez balèzes. Je pourrais jouer à "Je suis le roi du monde", mais je n'en ressens pas l'envie. Je me penche par dessus la balustrade, sur les conseils de Geoff. C'est incroyable, le truc énorme (j'ai toujours pas les termes) qui fend les flots, balèze. C'est là qu'il voit les poisson-volants et autres dauphins, dans le Pacifique m'a-t-il dit, j'ai hâte...
Je redescends et emprunte l'autre couloir. Allons voir l'arrière du bateau.

Avant du bateau Forecastle
Je me rends compte dans ce long couloir, seule, que si ça tangue vraiment, je glisse, je perds l'équilibre, je tombe par-dessus bord, et même si je hurle, je ne pense pas que quelqu'un n'entendrait ni ne verrait quoi que ce soit.

Arrière
De l'avant à l'arrière du bateau, le chemin est long (294m). Je me retrouve face à une "barrière", en fait une simple corde, et je ne sais absolument pas comment descendre plus bas. D'après mes souvenirs, Geoff m'a dit de passer par une sorte de trappe que je crois apercevoir, mais c'est un peu trop audacieux pour moi. Je vois le Chief Engineer en bas en train de bosser.

Deck F
C'est assez vertigineux en fait de voir l'océan défiler. C'est là que je m'aperçois que ce navire va vite (21 nœuds, environ 30-35km/h). Et que les lunettes de soleil sont indispensables, because le soleil qui se reflète sur l'océan, ça fait mal. La crème solaire ne serait pas non plus une si mauvaise idée. Je me demande pourquoi il y a un sauna sur le navire. 5 minutes à l'extérieur ont le même effet.

Accro au chocolat


Par mégarde, je suis tombée sur une photo de charlotte au chocolat aux m&m's. Ça fait mal au milieu de l'océan sans bon chocolat à proximité.  

Les escales


C'est bizarre. Tout d'abord l'arrivée au port peut durer longtemps. Le cargo attend d'abord à quelques miles du port avant de recevoir des ordres. Puis, le pilot monte à bord (dans tous les ports, un pilot monte à bord), le cargo entre lentement au port, attend encore avant de pouvoir "se garer". Une fois amarré, les opérations de déchargement démarrent, les types de l'immigration ou des douanes ou je ne sais quoi montent à bord et s'entretiennent avec le Capitaine dans le ship's office. Vérification de tous les papiers, ça peut durer longtemps. Ensuite, appel dans les cabines si nous pouvons descendre.
Pour Shanghaï, nous avons jeté l'ancre le 11/09, avant 7h30, le cargo s'est remis en route à 4h du matin, et il s'est garé à 10h30. Nous avons pu sortir à 13h, le 12/09.

Escale à Shanghaï :
Là commence les 2h30 les plus incompréhensibles de ma vie.
Dans le ship's office, le Capitaine nous tend nos passeports avec nos fiches de "seaman", pour éviter les problèmes avec l'immigration dû à nos visas simple entrée en Chine, trop cloolsse ! Le Capitaine a remis ses habits civils et porte un sac-à-dos, il semblerait qu'il descende lui aussi. Il nous explique plus ou moins comment aller à Shanghaï, mais on sent bien qu'il en a un peu rien à foutre. "Soyez là à 2100 (twenty-one hundred). Vous pouvez prendre un taxi, mais aucun taxi ne saura vous ramener au port, je vous donne la carte de visite avec l'adresse quand même, mais ça servira pas à grand chose. Il y a une station de métro aussi, mais personne ne sait où elle est. Enfin, moi je sais. Bon là, faut prendre un bus, sinon vous allez vous perdre, salut." C'est clair, hein ?
Le Capitaine se barre, on décide de le suivre de loin. Déjà, devant le bateau, je suis perdue, c'est juste immense. On voit le Capitaine grimper dans un bus, il nous fait signe de le rejoindre. Le bus nous amène à la sortie du port. Là, des agents vérifient nos cartes de seaman, et nous passons un tourniquet. Puis, une nouvelle fois, c'est n'importe quoi.
Un chinois essayait de nous alpaguer depuis la sortie du bus derrière le tourniquet, maintenant, il veut nous amener dans sa voiture où on veut. Le Capitaine nous fait signe de le suivre, nous suivons le Capitaine. Qui est entouré de deux jeunes filles. Probablement des prostituées. Il hésite entre deux voitures, je comprends pas tout, puis finalement il nous dit de monter dans la voiture du gars. Bon. À plus tard Capitaine, amusez-vous bien.
Dans la voiture du chinois, Volkswagen, il parle anglais avec un accent terrible, une fois de plus, on ne comprend pas tout. Il nous demande où on veut aller. Le centre de Shanghaï étant apparement trop loin, nous restons dans la banlieue autour du port. Premier arrêt, grand supermarché pour acheter du chocolat. Le gars nous mène droit sur le bon rayon. Je fais quelques provisions, je me sens mieux.
  • Un paquet de cookies contenant 27 mini-cookies.
  • Un paquet de gâteaux croustillants : 16 pièces.
  • Un paquet géant genre Maltesers.
  • Une petite boîte de m&m's. Faut pas abandonner ses classiques.
Il me reste 3 cookies et 3 oreos, je pense que je peux tenir toute la traversée maintenant.
Le chinois demande si on a besoin d'autre chose, Geoff veut un coupe-ongles. On va à la caisse, le chinois paye, nous remontons en voiture, et nous sommes coincés dans le parking. C'est pas grave, il va déplacer un scooter, et ça repart.

Shanghaï
La circulation est aussi dangereuse qu'à Pékin, ça klaxonne tout le temps, les vélos, les scooters électriques, les piétons, les voitures... mais il y a quand même beaucoup moins de monde, voire même personne. Ce ne sont que des 2x2 voies, parfois avec une voie de côté pour les deux-roues.
Dans une petite rue, un van est stationné, ben dans la rue justement. Après multiples klaxonnements, un gars sort d'un bar et déplace le van plus loin. On avance, mais un chien est couché au milieu de la route et ne veut pas se bouger, ben on prie pour qu'il ne bouge pas pendant qu'on roule au-dessus de lui. Je me retourne, le chien est vivant et il est allé se coucher autre part. On s'arrête, nous suivons le chauffeur dans un magasin, et il trouve un kit de manucure avec coupe-ongles et tout ce qu'il faut. J'y crois pas.
Maintenant, on fait quoi ? Ben on sait pas. Le chauffeur nous aide : "Massage ? Manger ? Bières ? Filles ?" Non merci, ça va aller. On a quelques demandes nous aussi "Musées ? Parcs ?" le chauffeur semble ne pas comprendre. Bon, va pour une bière. Il nous embarque dans un bar très comme il faut, nous avons une petite salle avec télé et air conditionné. "no girls, just beers". Il y a du thé aussi. Et une foultitude de petites choses à grignoter arrivent avec nos boissons. Geoff et moi commençons à nous inquiéter du prix de toute l'affaire.


Nous discutons tous les trois de nos pays respectifs, c'est un peu complexe, mais notre chauffeur est enjoué et se marre en permanence. C'est un jour férié aujourd'hui et il faut manger je ne sais quel gâteau qu'il s'empresse d'aller nous acheter dans la rue. Je raconte mon expérience de gâteau aux haricots rouge à Geoff et lui déconseille fortement d'en manger. Le chauffeur revient avec 4 gâteaux. Le mien est à l'oeuf ? Celui de Geoff, je ne sais plus, et les 2 autres, mystère... D'après le chinois, il en existe au porc ; formidable. Nous les mangerons plus tard, sur le bateau. Histoire de pouvoir les recracher en paix si nécessaire. Et, à ce propos, j'avais presque oublié à quel point les chinois crachaient tout le temps, partout, et de manière si bruyante...
On fait quoi maintenant ? Une petite marche. En gros, on fait le tour du quartier à pied, on trouve la station de métro, on voit beaucoup de containers, on doit être proche du port, et une fois rendus à la voiture, nous décidons de rentrer au cargo parce qu'on ne sait vraiment pas quoi faire d'autre et que ça risque de nous compter bonbon cette histoire. Effectivement, 150 $, charmant. Pour à peu près 2h30.
Nous montrons nos cartes de "seaman" pour pouvoir passer le tourniquet, et nous attendons le bus. Nous hésitons à nous lancer à pied à la recherche du "Hanjin Mundra", mais comme il semblerait que nous ayons un sens de l'orientation similaire, nous préférons la sécurité du bus. Qui arrive une minute après (Geoff n'a pas le temps de finir sa cigarette). Nous montons et le bus s'arrête deux mètres plus loin, devant le tourniquet. Il livre le déjeuner. J'hallucine. Demi-tour, nous repartons, je ne sais où, deux types montent avec 4 talkie-walkies. Nous continuons notre route à travers les containers, puis un des deux types nous demande si c'est notre bateau là, j'aperçois le Hanjin Mundra plus loin, nous sommes sauvés ! Nous descendons.
C'est vraiment massif les cargos. Surtout quand ils sont à quai et que l'on observe ces pinces géantes attraper les containers comme si de rien et les poser sur les camions dans un bruit assourdissant. Et nous, on est juste en-dessous, tels de vulgaires fourmis. Je m'aperçois que la partie "habitable" du bateau est minuscule comparée au reste du navire. Il y a des containers partout sur le bateau, même aussi dans le bateau, dans des espèces de fosses.
L'épreuve de la passerelle qui bouge avec deux containers qui passent au-dessus de nos têtes est absolument terrifiante.
On rentre, on rend nos passeports et nos cartes de seaman au Chief Officer, sinon coup de fil en plein milieu de la nuit avant le départ pour récupérer nos papiers.
Pour accéder aux escaliers, pendant les arrêts aux ports (aréoport de Nice, ah ah, je me fais rire toute seule), il faut taper un code sécurisé que nous n'avons pas, donc c'est un membre de l'équipage qui nous ouvre la porte.

Ningbo, le 13/09 : les abords de Ningbo, Chine, avant d'entrer au port (pendant plus de deux heures), c'est juste magnifique. Un petit bateau accoste notre cargo, le pilot monte à bord, il est alors interdit de monter au Bridge.
Des montagnes vertes à perte de vue, et des bateaux partout. Parfois, on voit quelques maisons perdues dans la montagne, mais on ne voit aucune route, étrange... Livraison par hélicoptère ?

Avant Ningbo
Arrivée au port de Ningbo, toujours ces mêmes montagnes vertes, je sors. Un bateau accoste le cargo à l'arrière, je ne sais pas pourquoi. Je préfère rentrer et ouvrir mon hublot pour pouvoir prendre des photos ; je crois qu'il est interdit d'être dehors pendant les manoeuvres du cargo au port. Nous nous garons, le chargement/déchargement va commencer. C'est une courte escale, moins de 10h, nous ne pouvons pas descendre.
Nous repartons à 21h30. En regardant par la fenêtre, j'ai l'impression qu'il manque une grande partie de l'arrière du bateau. Est-ce possible ? Peut-on vraiment couper un cargo en court de route ? Cela ne va-t-il pas affecter l'équilibre du navire ? Je suis perplexe, voire plus. J'y verrai sans doute plus clair demain.
(En fait ce n'était qu'une illusion d'optique, le cargo est toujours entier.)

Ningbo

16/09, vendredi (une semaine de cargo, c'est passé super vite)

Shekou
Je me réveille et nous sommes au port de Shekou, Chine. Nous sommes repartis et avons dû atteindre le port dans la nuit. Je dors tellement bien que je n'ai absolument rien remarqué...
Nous redémarrons vers 11h. Il semblerait que Shekou soit proche de Hong Kong et je crois bien avoir loupé le passage devant la ville. Je regardais un film, je peux pas être au courant de tout.

Shekou (j'ai appris que c'est le nouveau port de Hong Kong)
17/09, 6h30, réveil aux abords de Kaohsiung, Taïwan. Je regarde l'entrée au port, c'est pas transcendant comme arrivée. Les grues sont bleu ciel, c'est pas mal... Dernier repas avec Geoff, il quitte le navire aujourd'hui. Je ne sais pas quand arriveront les deux nouveaux. Je crois que je peux descendre mais j'ai pas trop envie en fait. Pas envie de me perdre ou de dépenser 100$ pour visiter un quartier pourri.
Déjeuner, probablement seule. Personne dans la salle, trois assiettes à ma table. Et Geoff arrive ! En fait, il ne peut pas sortir du cargo avant 15h. Pourquoi, comment ? On ne sait pas, c'est comme ça.
Un type sort de la cuisine suivi du Capitaine en uniforme. Le type ressemble à un gentil papi, il se présente, me sert la pince, à Geoff aussi. Il est super sympa, très amical. Mais je comprends rien de ce qu'il me raconte. Il parle anglais avec un accent. Est-ce le nouveau passager ? Je le pensais, mais il s'assoit à la table du Capitaine, à la place du 2nd Engineer. Pourtant, il reste encore 20 jours à faire au 2nd Engineer, il ne descend à Kaohsiung que pour quelques heures. Je sais que le Capitaine par contre se barre. Le type parle allemand, ce n'est sûrement pas le passager qui est censé être australien. Peut-être est-ce le pilot ? Pourquoi le pilot serait-il allemand ?
Une fois que la table du Capitaine est vide, je demande à Geoff qui c'était le gars "The new Captain !" Ah ben merde. Au moins, j'aurai moins peur de lui parler à celui-là.

Kaohsiung
Il y a un nouveau aussi à la table de derrière : probablement 3rd Engineer ou 2nd Officer.
Nous quittons Kaoshiung vers 17h15.
17h30, le mess est vide. À chaque place, 2 bières et 1 coca, cool. Peut-être un cadeau du nouveau Capitaine. La salle se remplit petit à petit. Je demande à Arndt le pourquoi des boissons : c'est l'anniversaire du 2nd Officer, c'est lui qui offre, mais il vient de terminer son boulot et est descendu à Kaohsiung. Il est remplacé par un autre jeune allemand.
Arrivent les passagers : Scott et son père de 80 ans dont j'ai pas saisi le prénom. Ils sont très sympas, et Ô miracle, je comprends tout ce que me raconte Scott. Par contre, avec son père, je capte pas grand chose. Croyez-le ou non, mais nous discutons rugby. J'ai zappé mais la coupe du monde a déjà commencé. Scott connaît Toulouse, la moitié des joueurs de l'Equipe de France jouent à Toulouse me dit-il. Ben oui, c'est ça.
Scott me demande où on peut se balader sur le bateau, je lui explique et lui dit que pour la salle des machines, il faut demander au Chief Engineer. Qui nous entend et nous propose aussitôt une visite demain à 13h (je mets du temps à capter, thirteen hundred ne faisant pas partie de mon vocabulaire "lire l'heure")
Trop cloolsse ! Je crois bien que j'ai jamais eu un dîner aussi sympa sur ce bateau. Le Capitaine arrive, très amical, Scott lui pose des questions, il répond sans problème. Je donne mes bières à la table de derrière, ils sont ben contents ! En partant, je ne sais pourquoi, Papa Scott me parle de la trilogie de Stieg Larsson. Je crois qu'il a bien aimé ses bouquins.
Je me sens vraiment bien, je ne sais pas pourquoi. Ah si, je sais ! Parce que la prochaine escale, je descends, c'est Melbourne ! L'Australie, enfin, objectif atteint. Bon, c'est dans 11 jours quand même...