L'arrivée
du pilot est prévue pour 01h00 le vendredi 19. Mais ça change à
peu près toutes les 5min. Le 2nd Mate
m'appellera donc lorsqu'on commencera à avancer. J'essaye de dormir,
j'ai du mal, je m'endors après 23h30 et me réveille avant 1h,
j'entends des bruits dans le couloir. Je suis au radar grave,
j'entends des gens parler, des bruits de pas, c'est quoi ce bordel.
Je sors une fois le silence revenu, ça devait être les douanes ou
le pilot ou l'agent ou que sais-je encore. Je vais dans la salle des
passagers, il fait nuit noire, mais il y a plein de lumière partout,
après 15 jours de traversée de l'océan Pacifique, ça change !
Beaucoup de bateaux et surtout une ville, Balboa, et ses skyscrapers
sur la droite. Mais le cargo ne bouge pas. Je retourne dans ma
cabine, je tourne en rond, je lis, je retourne dans la salle des
passagers, en plus il y fait frais... 2h20, j'entends mon téléphone
sonner, je me précipite, le 2nd Mate
m'informe de notre entrée dans le Canal du Panama. Je le remercie et
monte à toute bringue.
Début du canal de Panama |
Cette
fois c'est plus facile et rapide de se repérer dans le Bridge avec
le nombre de lumières extérieures. Le pilot est dans le fauteuil
haut, le capitaine est devant ses écrans (pour l'occasion il porte
sa belle chemise blanche pour faire vrai capitaine), le 2nd Mate
circule et il y a un marin au volant. L'autre passager est là
également, sur le canapé.
En
général, le pilot n'est là que pour conseiller le Master qui prend
les décisions. Pas ici. Le Canal du Panama est le seul endroit où
le pilot est responsable de tout, devant le Capitaine.
Devant
nous, un couloir de lumières rouges et vertes, il suffit de passer
au milieu. Le pilot gère la manœuvre en donnant des ordres au marin
« starboard 5, midship, steady, course 320 , portside
10...». Le marin exécute répétant inlassablement tous les ordres
donnés. On avance doucement mais sûrement, il y a d'autres bateaux
dans le couloir, des plus petits, certains arrivant en sens inverse.
Au bout de ce couloir interminable, la première écluse. On passe
sous le Bridge of America, reliant l'Amérique Centrale à l'Amérique
du Sud. On croise le D'Artagnan qui fout les jetons, j'aurais pas
aimé voyager là-dessus. Il se fait ravitailler en fuel, en pleine
mer, c'est marrant.
Un
bateau nous aborde, le 2ème pilot ainsi que le Channel Crew montent
à bord. Le 2ème pilot part se reposer, l'équipage du Canal
s'occupera de toutes les opérations pendant les premières écluses.
Premières écluses |
Nous
sommes devant les Miraflores Locks avant 4h (c'est bizarrement passé
assez vite). Devant nous un bateau est déjà dans l'écluse de
droite, c'est pourtant par là que nous nous dirigeons. Le channel
crew (19 gars) nous attache à 3 locomotives (2 cordes par
locomotives) sur la gauche d'abord puis sur la droite, les locos vont
nous tirer dans l'écluse pour faciliter les opérations et nous
maintenir dans l'axe. Parce que là ça devient intense niveau
manœuvres, les écluses font 33m de large, les Panamax, dont fait
partie le Matisse, font 30m de large, la marge d'erreur n'est pas
bien grande (1m50 de chaque côté, faut pas se louper). De nouvelles
écluses de 40 m de large sont en construction, ils espèrent
terminer les travaux pour les 100 ans du Canal en 2013.
Bientôt 100 ans |
4h,
on est à l'arrêt devant les portes fermées de l'écluse, le Chief
Officer qui vient de relayer le 2nd mate allume les lumières du
Bridge, nous allons devoir patienter avant que les portes ne
s'ouvrent. J'en profite pour rentrer chez moi et me faire une pause
thé/cookies, ça fait du bien.
4h10,
on bouge, on avance vaille que vaille, sous la pluie. Les premières
portes s'ouvrent, on entre dans le bassin, à terre ça s'affaire.
Une fois parvenus au milieu du bassin, nous sommes amarrés et on
attend que l'eau monte. Depuis que nous sommes entrés, l'eau du
bassin suivant se déverse dans celui-ci, maintenant que les portes
sont fermées, ça va un peu plus vite je pense. Mais on ne sent rien
et je ne vois rien.
Les
deux bassins sont maintenant à niveau, les portes devant nous
s'ouvrent. À côté, on peut suivre toutes les opérations sur un
bateau qui vient d'arriver, c'est chouette. On passe dans le deuxième
bassin, même histoire, on attend que l'eau monte, les portes
s'ouvrent et nous voilà sortis du Miraflowers Locks à 5h15. Nous
somme montés de 16m. Le Capitaine et le pilot sont dehors, penchés
par dessus la balustrade côté portside pour suivre le mouvement et
donner les ordres au marin au volant. Un tugboat nous emmène jusqu'à
la prochaine écluse, c'est pas bien loin. À 5h35, on arrive près
des petits trains. Le capitaine et le pilot restent dehors, ils
communiquent par talkie walkie avec l'officier de quart et le marin
au volant. Il pleut vraiment beaucoup mais il ne fait pas froid du
tout, la joie des tropiques j'imagine. Ça me convient pour quelques
jours mais je préfère l'air frais.
sortie d'écluse |
Même
histoire mais cette fois, je descends au deck B pour essayer de voir
la profondeur du bassin. Ce qui est marrant c'est qu'au début, je
suis plus bas que le niveau de la terre et à la fin de la manœuvre,
je suis bien au-dessus. À 6h05 les portes s'ouvrent, on sort du
Pedro Miguel Lock. Cette fois-ci, il n'y avait qu'un seul bassin et
nous sommes montés de seulement 9,5m. Le soleil se lève, mais on ne
voit rien, trop de nuages, bienvenue à Panama. La carte du Canal
ressemble pas mal à du gruyère quand même : des îles un peu
partout, de la flotte, et au milieu un petit passage.
6h30,
le 1er pilot et le Channel Crew s'en vont, le 2ème pilot est déjà
à son poste. Nous voilà dans une sorte de rivière, des collines
vertes tout autour, c'est beau, mais il fait gris et c'est pas
folichon, et c'est l'heure du petit-dèj ! Je remonte ensuite chez
moi, je prends quelques photos depuis le Deck E, toujours cette
espèce de rivière. Lorsque je remonte au Bridge à 8h30, tout a
changé : il ne pleut plus, il fait un peu soleil et je me
retrouve dans le gruyère de la carte : plein de petits îlots
de verdure partout, c'est beau. Joey est au volant, lunettes de
soleil en place, il répète tous les ordres du pilot limite en
hurlant avec son accent trop drôle, c'est tordant.
Panama, le matin |
9h,
on arrive pas loin du Gatun Locks, la dernière série d'écluses. Un
immense bateau de passagers est en train de passer, il bouche la vue.
Il y a plein de bateaux partout qui attendent dans tous les sens. On
en a évité un en plein milieu du passage (toujours les lumières
rouges et vertes), et on fait pareil, on tourne sur nous même et on
stoppe face à notre suiveur, limite au milieu. On jette l'ancre, on
patiente également. Le pilot quitte le navire, le prochain arrive à
14h45. C'est l'heure de se reposer m'annonce le Capitaine qui a
quitté sa belle chemise blanche depuis la sortie du Pedro Miguel
Lock En fait, si je m'en tiens à la carte on est bientôt arrivés,
faut juste patienter quoi.
Lac Gatun, on attend... |
J'essaye
de dormir mais c'est peine perdue, je lis, j'écris, je regarde des
films.
15h,
je monte au Bridge, il y a juste le 2nd Mate qui ne
sait rien de plus, on essaye d'apercevoir des crocodiles mais rien.
Un orage éclate pas loin, je retourne dans ma chambre et évite de
justesse de m'endormir devant Futurama.
16h30,
il y a du mouvement, je remonte. Le Channel Crew est déjà en poste
au bow. Au Bridge, il y a le Capitaine qui a remis sa chemise
blanche, le Chief Officer, un marin, et deux pilots pour le prix d'un
(d'ailleurs coût du passage : entre 250 000 et 300 000€ !).
On met un peu de temps à se bouger et enfin le tugboat arrive !
En route pour le dernier morceau avant l'Atlantique !
Gatun Locks |
Nous
avons donc trois écluses d'affilée devant nous et cette fois on
descend. Tout se passe bien, un pilot sur chaque aile du Bridge pour
surveiller le déroulement des opérations. Les écluses ont l'air
vachement profondes, mais c'est peut-être parce qu'on descend, on a
une meilleure perception. Donc cette fois-ci, au lieu d'attendre que
l'eau monte, on attend qu'elle descende. Je suis verte, parce qu'à
côté le bateau est parti bien après nous et il a terminé avant
nous, c'est trop injuste. Belle lumière de fin d'aprèm, en plus il
fait plutôt bon, pas trop lourd. On quitte définitivement Gatun
Locks à 18h45, adieu le Pacifique, adieu le canal du Panama. On est
arrivé de nuit, on part de nuit, logique.
sacrée baisse de niveau |
Nous
allons maintenant vers Manzanillo mais là je jette l'éponge, je
n'en peux plus. J'ai passé beaucoup de temps dehors à respirer les
fumées toxiques de tous ces bateaux brûlants du carburant bon
marché et à éviter de me faire piquer par des insectes tropicaux,
je veux dormir. La plupart des travailleurs de la salle des machines
ont passé tout le passage du Canal enfermés en bas à veiller au
bon fonctionnement de la bête, c'est également l'heure du repos
pour eux. Ceux qui n'ont pas travaillé la nuit dernière doivent
rester éveillé cette nuit pour les opérations de
chargement/déchargement à Manzanillo...
sortie de Gatun Locks |
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